Madame la Ministre,
Je ne pensais pas un jour, me hisser sur le toit de mon tout petit blog, pour vous interpeller, et vous faire part de mon avis sur l’une de vos décisions.
Je pense être plutôt ouverte, plutôt de ces gens qui aiment l’innovation, de ceux à qui le changement ne fait pas peur, même souvent de ceux qui pensent qu’il est nécessaire voire indispensable, de régulièrement se remettre en question, changer, pour mieux avancer.
Mais là, je me sens obligée de me poser, de m’arrêter un instant. Et de vous dire, d’ici, ouvertement, que vos projets de changement ne nous aideront pas à avancer. Qu’ils risquent même de nous mettre, nous, familles, femmes, que vous représentez, en grande difficulté.
Vous souhaitez une réforme du congé parental. Au nom de l’égalité homme-femme. L’idée est belle. Qui ne rêverait pas de nous voir tous égaux : de voir tomber les discriminations envers les femmes, à l’embauche, aux responsabilités, au salaire…
Jusque là, je partage vos idéaux. Jusque là.
Je dois vous le dire, jusqu’à il y a peu, le congé parental, je m’en fichais un peu. Même maman de 2 jeunes enfants, je ne me sentais pas concernée par cette idée saugrenue d’arrêter de travailler, de mettre en pause sa vie professionnelle au nom de la maternité. Et puis, la vie a eu raison de mes préjugés. Aujourd’hui je suis sur le point de devenir mère à nouveau, pour la 3ème fois.
Et j’ai pris la décision de ne pas reprendre le travail après mon congé maternité. Grâce à l’existence du congé parental.
En m’arrêtant, je vais rendre à notre famille la sérénité et le calme. Je vais reprendre ma place de femme, de mère, dans le foyer. Parce que, bien loin des généralités, dans notre famille où les 2 parents travaillent, c’est le Papa qui est jusqu’à présent le plus impliqué dans la parentalité. Simplement parce que son lieu de travail est moins éloigné. Qu’il lui permet de déposer et récupérer les enfants à des horaires correctes, là où de mon côté je les déposerai en garde à 6h30 pour les récupérer à 18h40.
Chez nous, donc, c’est Papa qui aujourd’hui s’occupe de l’école et de la crèche, des repas, des bains, du ménage et même parfois du repassage.
Un mari idéal, me direz-vous. Qui pourrait donc profiter de cette réforme pour devenir Papa à plein temps pendant 6 mois. Permettre à son épouse de s’impliquer encore davantage professionnellement, d’évoluer peut être même.
Mais il est des métiers, Madame la Ministre, où cette possibilité n’existe pas. Et n’existera pas. Même avec une réforme qui donnera au père la possibilité de s’arrêter 6 mois.
Simplement parce qu’en contrepartie de son engagement, c’est l’employeur de Monsieur Papa qui nous permet d’avoir un toit. Et que si Monsieur souhaitait s’arrêter quelques mois, nous serions simplement invités à quitter les lieux, à déménager, trouver un logement, et supporter une charge de loyer que nous ne pourrions pas supporter, encore moins avec la diminution de revenus elle-même engendrée par ce temps d’arrêt.
Chez nous donc, la réforme, elle ne se résumera qu’à une coupe franche du droit au congé parental. De 3 ans, à 2 et demi, puisque je suis la seule entité dans le couple à pouvoir en bénéficier sans trop nous pénaliser.
Votre réforme, vous la basez sur 2 objectifs : favoriser le retour des femmes vers l’emploi et rééquilibrer la répartition des responsabilités parentales au sein du couple.
Comme je viens de vous l’écrire, chez nous la répartition des responsabilités parentales ne peut exister que si c’est maman qui s’arrête de travailler. La réforme ne fera que nous pénaliser, nous, et nos enfants.
Mais je vous l’accorde, notre situation est bien spécifique, même si loin d’être un cas unique, et je ne peux me contenter d’une vision aussi individualiste pour affirmer que cette réforme à l’impact collectif n’est pas une bonne idée.
Alors je vais vous parler de ce deuxième objectif que vous avancez : favoriser le retour des femmes vers l’emploi. En toute modestie, mais toutefois en toute connaissance de cause. Parce que l’emploi, et plus précisément le retour vers l’emploi est un domaine que je connais très bien, pour le pratiquer quotidiennement dans le cadre de mon activité professionnelle, justement.
Pensez-vous réellement, et sérieusement, que s’arrêter 2 ans et demi et non plus 3, suffira aux femmes pour retourner ensuite à l’emploi tranquillement, facilement ?
Au delà, de l’emploi des femmes, bien au delà, il y a le problème de l’emploi tout court. Ces femmes, qui s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants, ont peut-être un emploi en amont, qu’elles ont la chance de pouvoir retrouver à l’issue de leur période d’inactivité. Soit elles sont réintégrées dans leur poste intelligemment par leur hiérarchie et leur entourage professionnel, soit elles sont, comme cela est trop souvent le cas, poussées vers la sortie, par un licenciement, une rupture conventionnelle, ou même une démission imposée.
Qu’elles aient été absentes 30 ou 36 mois ne change rien au fond du problème. Elles ont été absentes. Une absence plus ou moins tolérée.
Dans le cas justement où cette absence n’a pas été tolérée… Ces femmes ont RDV, 3 ans après le début de leur période d’inactivité, ou 2 ans et demi si vous le préférez, avec la case chômage. Et encore une fois, pour y être quotidiennement confrontée, je peux vous assurer que ces fameux 6 mois ne changeront rien à leur triste sort professionnel. Sans parler de celles qui ont opté pour le congé parental alors qu’elles étaient déjà au chômage.
6 mois d’inactivité, c’est déjà beaucoup, pour tout un chacun, pour ceux qui sont privés de travail, comme pour ceux qui proposent les emplois. 12 mois, période charnière au delà de laquelle on sombre presque déjà aux yeux de l’entreprise dans l’inemployabilité.
Alors 30 ou 36 mois, imaginez…
A cela, vous répondez bilan de compétences, et formations. Des dispositifs qui existent déjà. Qui n’ont rien de mauvais, en soi, qui peuvent être une solution, parfois. Un bilan de compétences après quelques mois d’inactivité ne fait pas de mal, loin de là, si tant est même qu’il ne s’impose pas. Une formation, bien sûr, dans n’importe quel corps de métier, après s’être arrêté si longtemps, il est indispensable de se remettre à niveau, à minima. De se reformer à tout un tas d’évolution souvent aussi.
Mais tout cela, d’une part, cela existe déjà en quantité bien insuffisante comparé au besoin réel de la population privée d’emploi. D’autre part, un bilan de compétences ou une formation n’ont jamais créé d’emploi, et sauf si un jour les miracles existaient, je doute que cela devienne le cas une fois la réforme adoptée.
Que répondrez-vous à cette mère de famille, qui après 30 mois de tête à tête avec ses enfants et de cuisine / couches / aller-retours à l’école, sortira de son bilan de compétences avec un projet merveilleux de devenir assistante de direction? Serez-vous en capacité de répondre favorablement à sa demande de formation, et de la lui financer ? Et quand bien même, quel poids aura t’elle face à une jeune diplômée fraîchement sortie des études, jeune et sans enfant ? Sa formation toute fraîche créera t’elle de l’offre d’emploi dans un secteur déjà saturé ? Ou ne sera t’elle confrontée qu’à une grande désillusion, à une démarche de recherche d’emploi longue et éprouvante, à une remise en question plus que nécessaire quand elle s’apercevra que son grand projet, son grand rêve de reprise d’activité n’est pas en adéquation avec la réalité du marché ?
Le risque, c’est d’emmener ces femmes déjà professionnellement fragilisées, vers la désillusion. Il est dangereux, de leur faire croire qu’un bilan de compétences ou une formation répondront simplement à leurs difficultés de retour à l’emploi une fois que le congé parental, qu’il soit de 30 ou 36 mois, sera terminé.
Je reprends néanmoins ma petite maman secrétaire médicale fraîchement formée, et imagine une seconde qu’elle ait retrouvé un emploi facilement à l’issue de sa formation. Qu’en sera t’il de son enfant ? Les solutions de gardes manquent déjà grandement aujourd’hui. Les 100 000 places en crèche supplémentaires annoncées suffiraient-elles à combler le manque actuel ? J’en doute fort. Qu’en sera t’il si le nombre de demandeurs augmente en même temps que le nombre de places créés ? Le problème ne sera t’il pas « juste » déplacé ?
Je m’interroge, simplement. Je vous interroge également, car après tout, c’est vous qui avez les cartes en main.
Pourquoi une réforme si radicale ? Pourquoi ne pas « juste » laisser le choix aux Papas et aux Mamans, de pouvoir s’arrêter chacun si il le souhaite, comme il le souhaite ? Pourquoi partitionner, cloisonner ainsi ? Ne faudrait-il pas juste commencer par un congé parental qui aille jusqu’à l’entrée à l’école de l’enfant, au lieu de simplement s’arrêter à 3 ans au delà du congé maternité. Situation idéale pour celles dont le congé prend fin fin août, chaotique pour celles dont il prend fin en décembre.
Parce que les places en crèche et les contrats d’assistante maternelle débutent en septembre. Et que bien souvent, ces mamans hors délai se retrouvent obligées de poursuivre leur inactivité, faute de mode de garde jusqu’à la prochaine rentrée.
Et se rajoutent donc parfois jusqu’à une année d’inactivité…
Parce que je m’interroge, parce que je doute, parce que je ne suis pas convaincue que cette réforme soit correctement menée, parce que je suis sûre qu’elle repose et promet de tenir des objectifs qui n’en sont pas (un objectif non atteignable n’en étant plus un ;))…
Parce que je me demande l’impact financier d’une telle réforme, le coût de ces bilans de compétence, de ces formations, de ces places en crèche… D’où sortira l’argent, quel autre poste sera sacrifié ? Quelles seront les impacts au niveau de vos collègues des Ministère de l’emploi qui rame déjà à nous faire espérer une inversion de la courbe du chômage, du Ministère de l’Education qui veut faire passer une réforme pour des « journées d’école moins longues »… N’est ce pas difficile à concilier avec cette reforme que vous proposez ?
Pour toutes ces raisons, ces doutes, ces interrogations… J’ai signé la pétition mise en place par une autre blogueuse au parcours professionnel difficile, Juliette du blog Conboudu et invite chacun, chacune de mes lecteurs et lectrices à me suivre et à en faire autant.
En espérant vous sensibiliser, vous faire ouvrir les yeux et revoir votre position, vous avancer dans l’intérêt de celles dont vous défendez les droits : les femmes.
J’invite par ailleurs toutes celles & ceux qui passeront par ici, à prendre connaissance de ce projet de loi, à réfléchir à cette réforme qui nous est proposée… Vous pouvez pour cela consulter la page officielle de la Ministre.
Vous pouvez également nous rejoindre sur le groupe Facebook créé dans le but de tous & toutes nous rassembler, sans oublier de signer la pétition et de nous aider ainsi à atteindre les 500 signatures requises afin qu’elle soit présentée à notre Ministre, Mme Najat Vallaud-Belkacem.Une marche virtuelle est également en passe d’être organisée… Si ce que je vous ai raconté tout au long de ce billet vous parle, vous interpelle…
Rejoignez-nous !
Je signe et vous rejoins
« Au delà, de l’emploi des femmes, bien au delà, il y a le problème de l’emploi tout court »
ET BIM dans sa face ! On ferait en effet mieux de favoriser les emplois plutôt que faire des réformes qui feront pas avancer l’économie française… ET on ferait mieux d’essayer de changer les mentalités quand ton employeur te fait payer le fait d’être enceinte et encore plus le fait de prendre un congés parental
Dans ce gouvernement j’ai l’impression qu’ils font des reformes PARCE QUE il faut en faire, mais qu’ils font que des réformes de MERDE
Merci pour cet article
Bravo, très bel article! Je partage totalement ton point de vue. J’ai mis un lien au bas du mien.
Merci à toi… Je vais ajouter les liens des autres articles également ;)
Article bien écrit, reprenant chaque argument avec des contre arguments, et de vrais problématiques soulevés, que tout le monde constate, mais que les gouvernants ne reprennent pas (pensant probablement qu’on est tous « neuneu »).
Encore une fois, on est face à des lois émises par des dogmes et des idéaux, et non des cas concrets de la vraie vie… Triste… :(
Je te rejoins complètement… Et si petits que nous sommes face à tout ça… Merci de ton passage, et de ton petit mot ;)