Il est des sujets que l’on aimerait, en tant que parent, ne jamais avoir à traiter. Des problématiques auxquelles on espère ne jamais être confrontés.
Le harcèlement scolaire est une de celle-ci.
Lorsque l’on se projette dans la scolarisation de nos tout petits, on pense à la première rentrée, on s’émeut de cette étape, on craint les pleurs des premiers jours et on veille à ne pas oublier le doudou.
Et puis chacun trouve son rythme, chaque nouvelle rentrée nous renvoie au temps qui passe, chaque nouvelle année scolaire voit nos enfants grandir et gagner en autonomie.
Aucun parent n’imagine que l’école, que la scolarité, puisse devenir source d’angoisse et de mal-être pour son enfant.
Jamais on envisage que ce lieu, cette cour que l’on imagine pleine de rires et de cris d’enfants qui s’amusent, puisse devenir le terrain de jeux qui mettent à mal nos enfants.
Jusqu’au jour où.
Le jour où l’on apprend la souffrance, la mise à l’écart, l’isolement. La violence des mots et des comportements.
La douleur et les larmes de celui ou celle qui se retrouve seul, mis au banc. Celui que l’on choisit d’ignorer, d’évincer. Que l’on prend plaisir à blesser, à mettre en défaut.
Ces dernières années, j’ai appris, moi parent, que la violence peut commencer très tôt. La violence ce ne sont pas que les coups.
La violence, ce sont aussi les mots, les comportements, les manipulations.
Les stratagèmes mis en oeuvre pour fragiliser, blesser, isoler. Etre mis à l’écart, esseulé, systématiquement contredit ou rejeté, c’est violent. Ca génère la tristesse, l’incompréhension, la souffrance, la perte de l’estime et de la confiance en soi.
Cette violence là est perfide parce qu’elle est silencieuse. Elle peut se jouer sous les yeux des adultes en toute discrétion. Elle met du temps à être décelée, mise au jour. Elle est invisible, impalpable, inquantifiable.
C’est la parole du faible contre celle des plus forts, quand parole il y a. Oser parler, c’est compliqué. Surtout à 9 ans.
A 9 ans on est tiraillé entre la souffrance de cette violence subie au quotidien, et malgré tout l’espoir, l’envie d’être accepté. Alors on ne dit rien, ou très peu. Sinon ça sera pire, se dit-on. Sinon c’est sûr, ils seront jamais mes amis.
J’ai une enfant qui encaisse. Qui minimise. Qui parle assez peu, reste évasive sur ce qu’elle vit. Elle dit que ça va, qu’elle s’en fiche.
Et puis elle écrit, elle se libère par les mots. En la lisant on prend bien acte qu’elle ne s’en fiche pas tant que ça. En creusant on s’aperçoit qu’elle en souffre, que c’est dur, que ça l’abîme.

Le harcèlement scolaire abîme. L’enfant, et ses parents.
Il fait peur. Peur pour l’après. Quel impact cette période de vie aura t’elle sur mon enfant ? Que gardera t’elle de ces années là ? Quel message va t’elle ancrer dans son esprit ? Quid de sa confiance en elle, de sa confiance aux autres, de son rapport à l’amitié ?
Quels sont ses mécanismes de protection, de défense ? On se soulage de ce qu’elle exprime, on angoisse de ce qu’elle n’exprime pas. Que gardera t’elle de tout ça ? Jusqu’à quel point va t’elle essayer de gérer, d’encaisser ?

Le harcèlement scolaire démunit.
Cette violence de cour de récré s’immisce jusque dans notre maison. Elle happe la famille, elle entraîne la fratrie. On se retrouve tous prisonniers de cette violence que l’on n’a pas vue venir, que l’on sait ne pas saisir totalement.
Voir souffrir son môme, c’est tellement, tellement difficile. Garder la tête froide, faire la part des choses, rester objectif et constructif, c’est un effort de tous les instants.
On s’interroge, on se repasse le film, on se culpabilise aussi.
Qu’est ce que nous avons fait, pas fait, vu, pas vu ? Pourquoi elle ? Pourquoi a t’elle été identifiée comme victime par ces autres enfants ? Est-ce qu’on ne lui a pas donné les bonnes armes ? Est-ce qu’on a manqué de prévenance, de clairvoyance ? Est-ce qu’on a merdé en l’inscrivant dans cette école-là ? Est-ce qu’il y a des signaux à côté desquels nous sommes passés ? Pourquoi est-ce que mon enfant ne me parle pas ? Pourquoi est-ce qu’elle ne m’a pas alertée, pourquoi est-ce que ne libère pas totalement ? Est-ce qu’elle manque de confiance en nous ? Comment est-ce qu’il faut réagir ? Auprès de qui ? Ouvrir le dialogue avec les autres parents ou au contraire mettre son enfant en sécurité, adopter la stratégie de l’évitement ? Est-ce qu’on la change d’école ? Est-ce qu’on combat coûte que coûte ou est-ce qu’on joue la sécurité ?
Le harcèlement scolaire nous laisse sur le bord du chemin.
On souffre pour notre enfant, on reste fort pour lui aussi, même si l’on se sent impuissant. On porte un sac bien lourd, empli de questionnements, de peur, de tristesse, de culpabilité, de choix à opérer dont on a aucune certitude qu’ils seront les bons.
On pense au harceleur aussi. Qui souffre probablement. Je ne crois pas que l’on puisse faire souffrir sciemment sans souffrir soi-même à à peine 9 ans.
Face au harcèlement, nous les parents, nous sommes bien peu.
Je suis quelqu’un d’assez positif, j’essaye malgré les circonstances de faire preuve de la plus grande neutralité possible et d’avancer de façon constructive. Je le vois comme une épreuve dont nous ressortirons tous, forcément grandis. Enrichis d’enseignement sur les relations humaines, renforcés dans nos liens familiaux, grandis d’avoir géré la crise main dans la main.
J’ai choisi de me battre, de m’appuyer sur l’école (au moins sur les enseignantes qui semblent avoir bien mesuré la situation) mais aussi sur les ressources précieuses que sont les associations de parents ayant traversé le même type d’épreuves avec leurs enfants.
Suis-je légitime ? Est-ce que je m’affole pour rien ?
Etre pris en compte, écouté, reconnu, c’est indispensable pour l’enfant, mais aussi pour les parents et plus largement, pour la fratrie.
On aura vite fait de vous renvoyer un message du genre « tu joues sur les mots », « tu t’affoles pour rien ». J’ai personnellement fait face à une directrice d’école qui a d’abord dit « je n’aime pas le mot harcèlement, c’est un peu fort comme terme », lors de notre première rencontre pour évoquer la situation vécue par notre enfant.
Cette négation de la réalité est d’une violence sans nom, surtout lorsqu’elle sort de la bouche des personnes censés être garants de la sécurité de notre enfant.
Lutter contre le harcèlement : être bien entouré.
De notre côté, nous recevons l’aide précieuse de l’association Marcel Ment, qui met à disposition une écoute salutaire, des conseils bienveillants et une boîte à outils très utile à destination des parents et de l’enfant victime de harcèlement.
L’asso nous a également conseillé un professionnel de la prise en charge des enfants victimes, afin de proposer à notre enfant un accompagnement neutre d’un professionnel rompu à ce type de situation, qui libérera sa parole, la reconnaîtra et lui permettra de panser les blessures infligées à son estime d’elle même.
Notre fille entrera au collège d’ici 2 ans, il est indispensable que toutes ces souffrances soient cicatrisées et qu’elle soit armée contre les comportements blessants qu’elle pourrait à nouveau y rencontrer.
L’importance de la communication et du partage.
Bien sûr, notre principale clé, c’est la discussion. La communication, la disponibilité. La mise en mot des émotions, et nous avons pour cela ressorti quelques exercices des très bons Carnets Filiozat.
On essaye de donner les clés, on dit et on répète notre écoute, notre présence, notre non jugement, son absence de culpabilité.
Et puis on en parle autour de nous.
Je pense que le sujet est important, voire essentiel à aborder entre parents. Le harcèlement scolaire peut commencer très tôt, peut être silencieux, difficile à détecter, et pourtant plus il l’est tardivement plus il peut mener à des situations dramatiques.
Il faut en parler, à nos enfants, dans les écoles, dans les familles, mais entre parents aussi. Je ne le fais que rarement mais je vous invite vraiment à partager ce billet, à commenter, à échanger sur vos vécus, sur vos astuces, sur les personnes, les structures qui vous ont aidé si vous avez été de près ou de loin confrontés à une situation de harcèlement.
Triste de lire un tel article. Une pointe de colère en voyant la 1ère réponse de la directrice (qui ne veut pas de ça chez elle, je comprends bien!) et énormément d’empathie pour votre fille.
Bon courage!
Merci beaucoup (et oui pas de vague, surtout en privé…).
Toutes mes pensées pour ta fille que je trouve si attachante dans tous tes textes. Beaucoup de courage à elle et à vous.
Merci mille fois Anne <3