Il doit être 7h10, ou pas loin, un lundi matin. Le petit dort encore, la Micro-Fille finit sa nuit dans notre lit. Seule la Maxi-Fille est debout, et déjà au taquet. Elle mange son yaourt en me racontant des histoires de cour de récré. Elle est enjouée, souriante, elle ponctue ses phrases de « hé maman tu sais j’ai oublié d’te dire un truc« . Et moi j’essaye péniblement d’émerger, la tête plongée dans mug de café.
Je la gratifie d’un « ah oui c’est bien ça » ou d’un « c’est chouette » de temps en temps. Entre l’histoire de Léna qui vient d’avoir une petite sœur et celle d’Alexandre qui a pleuré pour voir sa maman à midi parce qu’il croyait qu’il allait pas à la cantine mais en fait si il devait y aller.
Passionnant.
D’un coup elle se lève et disparaît dans la salon. A cet instant, je bénis Dora qui n »est pour moi qu’amour et soulagement. Je vais peut être pouvoir prendre mon café tranquillement.
Ou pas. La voilà qui réapparaît déjà, presque en courant. Je suis sur le point de lui sommer de ne pas claquer les pieds et d’arrêter de courir dans la maison, mais elle ne m’en laisse pas le temps.« Maman, ton papa à toi c’est Papy ? »
« Oui ».
« Mais il est plus là ? »
« Euhhh… Non ».
« Est-ce que il est mort ? »
Gloups. Je manque de m’étouffer avec ma gorgée de café. Oublie Dora, oublie les petits qui dorment, oublie la presque douceur de ce lundi matin, oublie la micro-seconde de calme, oublie, oublie.
D’un coup, comme ça, elle pose ça là. A moi de me débrouiller.
Le temps de reprendre mes esprits, d’être sûre d’avoir bien compris la question. Quelques secondes à peine, mais elle a déjà eu le temps de reformuler 3 fois.
« Hein Maman, c’est ça ? Il est mort Papy ? Il reviendra jamais ? »
Oui, c’est ça ma chérie. Il est mort, il reviendra jamais. Mais tu sais, je suis sûre qu’il veille sur toi.
Je crois que ce sont à peu près les seuls trucs que j’ai pu lui marmonner.
Heureusement pour moi, elle s’est contentée de ça. Elle a enchaîné sur Chippeur qui avait encore piqué un truc à Dora à la TV. Et j’avoue que ça m’a bien arrangée.
Il fallait bien qu’elle se la pose un jour, cette question. J’aurai préféré éviter, mais n’empêche que. C’est comme ça. On lui parle souvent de Papy, au quotidien. Simplement parce que j’étais très proche de mon papa et qu’il fait partie intégrante de nous. Aussi parce qu’il est important qu’elle sache, qu’ils sachent, que Papy fait partie de leur histoire et de leur vie aussi.
Mais quand même. A 7h un lundi matin, c’est pas vraiment comme ça que j’envisageais d’aborder le sujet. Comment lui dire. Et est-ce qu’il le faut. Elle est petite encore, et puis c’est un sujet que je n’aime pas particulièrement évoquer..
J’aurais tant à lui dire, mais lui dire ce serait accepter, et je ne suis pas sûre de l’avoir déjà fait. A vrai dire, rien que ses mots m’ont choquée. J’en étais à peine à « décédé ». Au mieux je dis qu’il n’est plus là, ou que « je l’ai perdu » (d’ailleurs en y pensant, c’est un peu con cette expression. Bref.).
Alors quand elle me balance son « est ce que Papy il est MORT ? », je reste un peu scotchée. Et c’est très machinalement que je lui réponds oui. Même si je sais, que oui. Je préfère encore ne pas voir, ne pas dire, ne pas y penser.
Son Papy est « parti » alors qu’elle n’était encore qu’un tout petit fœtus d’à peine 4 mois dans mon bidon.
Il savait qu’elle était là, qu’elle serait ELLE, il avait même eu l’exclusivité de connaître son prénom. Quand la maladie est là, on ne sait jamais, mieux vaut ne pas prendre le risque d’avoir quoique ce soit à regretter.
Et moi, en 4 mois, j’avais eu le temps d’imaginer. De l’imaginer, lui, débarquer à la maternité. Découvrir ce petit bout de bébé, cette première petite fille, avec fierté et émotion. Voir ses grands yeux bleus briller, la voir, elle, là, si minuscule dans ces si grandes mains. J’imaginais les milliers de photo, ce grand bonhomme redevenu tout petit devant cette merveille qui venait de débarquer. Son sourire satisfait, cette joie partagée. J’imaginais les soirées complices qu’il aurait partagées avec Le Mari, à me narguer par MMS de bons repas au restau pendant que je grimaçais devant ma purée à la maternité.
J’imaginais ce Papa tendre et rieur transformé en Papy gâteau. Je rêvais à leur belle complicité. J’espérais secrètement que la maladie nous laisserait suffisamment de répit, encore un peu de temps. Jusqu’à la naissance, jusqu’au premier Noël, jusqu’aux premiers pas. Parfois même j’ai osé faire fi de cette saloperie. Je nous imaginais débarquer l’été dans sa grande maison, découvrir avec surprise (mais pas vraiment, au fond) et émotion le cocon tout doux qu’il lui aurait préparé. Une petite chambre de princesse, probablement avec du rose et beaucoup de peluches, décorée avec amour et délicatesse, et aussi avec la patte un peu hasardeuse d’un cinquantenaire vivant en solo depuis plusieurs année.
Je nous imaginais les laisser en tête à tête quelques soirées. Avec le Mari nous octroyer un restau, puis un ciné. Le lendemain matin faire la grasse matinée. Se lever bien trop tard, le découvrir assis par terre, occupé avec elle à jouer. Il lui apprendrait à faire les marionnettes, lui chanterait des chansons, la ferait danser de long en large dans le salon, comme il l’avait fait avec moi 25 années plus tôt.
Le dimanche il nous aurait emmené faire une petite balade en bateau. Nous raconter sa Bretagne, son bonheur simple entre le ciel et l’eau. Il lui expliquerait les nœuds, les voiliers, les poissons. Elle écouterait, émerveillée. Je me délecterai de chaque seconde, à les voir ensemble rire, discuter, partager.
Encore aujourd’hui, parfois, je me prends à rêver. D’un Noël féérique, de mes 3 monstres qui lui courent après partout dans la maison. De lui, assis, heureux, à échanger des blagues vaseuses avec le Mari pendant que je joue la Masterchef d’un soir pour les régaler. De ses yeux pétillants, de ses bras rassurants, de ses mots sincères et francs. Sûrement qu’il me trouverait un grain de folie, d’en avoir fait 3 rapprochés. Sûrement qu’il serait fier, sûrement qu’il serait heureux. Évidemment qu’il les aimerait infiniment. Il serait si heureux de voir grandir cette grande fille qui lui ressemble tant. Il emmènerait le Mini jouer au ballon, voir les bateaux, il lui ressortirait mes petites voitures, celles avec lesquelles nous avons tant partagé tous les deux. Il câlinerait la Micro-Fille jusqu’à presque l’étouffer. Il leur apporterait cette douce fermeté et cette tendresse amusée qui m’ont moi-même portée pendant presque 25 années.
Il y aurait cette note de douceur et de folie, ce truc en plus, la marque de fabrique du Papy.
Et pourtant. Ce lundi matin, il m’a bien fallu faire face à la réalité, pour de vrai, comme dit Maxi. Et pour la première fois, l’expliquer. Oui, c’est vrai, il est mort Papy, ma chérie.
Tous ces instants magiques n’auront pris vie qu’au fond de mes pensées. Un jour je te les raconterai. Je te, je vous LE raconterai, à tous les 3.
Trop touchant… :'(
Les larmes coulent… Grosses pensées à mon papa qui m’observe de là-haut…
Billet très émouvant ma Belle. Ils ont le don de nous ramener vite à la réalité nos Loulous. J’y ai eu droit cette semaine » Maman elle est où ta Mamie à toi que je vois en photo »…
Bon et bien, c’est avec une petite larme au coin des yeux que j’écris ce commentaire.
C’est très émouvant et bien écrit. Bravo
<3
Très beau Maeline
C’est dur de se dire que nos papas que l’on a profondément aimés ne connaîtront jamais nos bébés et ne nous connaîtrons jamais en tant que mère
Je pense souvent au mien et les regrets arrivent